Installé au sein d’un parc animalier de Loire-Atlantique, un village traditionnel africain peuplé d’artisans et de danseurs a fermé six mois après son ouverture, en 1994.« Le village de Bamboula », diffusé ce jeudi soir sur France 3, revient sur cette histoire méconnue.

L’histoire semble sortie d’une autre époque, et pourtant… En 1994, à à Port-Saint-Père (Loire-Atlantique), à une vingtaine de kilomètres de Nantes, un village traditionnel africain d’artisans et de danseurs voyait le jour au cœur d’un nouveau parc animalier soutenu par les collectivités, le Safari Africain. Imaginée dans le but de « promouvoir la Côte-d’Ivoire », l’initiative a surtout créé l’émoi chez un collectif de militants, qui s’est mobilisé au nom de « la dignité humaine ». Vingt-huit ans plus tard, un documentaire de 52 minutes diffusé ce jeudi soir sur France 3 (et le 18 janvier sur France 2) revient sur l’histoire méconnue du « village de Bamboula ». « Il s’y est passé des choses très graves », dit à 20 Minutes Yoann de Montgrand, qui a coréalisé le film avec François Tchernia.

Au printemps 1994, une vingtaine de femmes, d’hommes et d’enfants ivoiriens débarquent en Loire-Atlantique. Ces artistes seront chargés d’animer un nouveau complexe de boutiques et de restaurants, sponsorisé par la biscuiterie Saint-Michel, qui cartonne alors avec son sablé chocolaté appelé… Bamboula. Mais les conditions de travail dictées par le directeur du parc de l’époque (qui les a lui-même fait venir) sont décrites comme très rudes : rémunération au quart du Smic, couchage sur des matelas au sol, jours de repos insuffisants, passeports confisqués… « Un ersatz de zoo humain », estime aujourd’hui Yoann de Montgrand dont le reportage, alimenté par des images d’archives et interviews des protagonistes de l’époque, montre comment « des touristes venaient sur place pour prendre des photos des animaux, mais aussi des gens ». « On souriait alors qu’on était mal dans notre peau », raconte une des danseuses, qui se produisait seins nus.

Le parc et son directeur condamnés

L’initiative choque peu à l’époque, alors que Nantes accueille sa première exposition dédiée à la traite négrière. Mais des militants syndicaux et des droits de l’homme (dont la CGT ou la LDH) prennent l’affaire au sérieux. Ils obtiennent rapidement que les papiers soient rendus et les salaires augmentés, et portent finalement l’affaire au tribunal. Quand l’expert judiciaire passera, il ne trouvera plus personne dans les cases : les artistes ont entre-temps été sommés de partir. Trois ans plus tard, le parc et son directeur seront condamnés à des sommes symboliques pour « atteinte à la dignité humaine », raconte le film.

Difficile aujourd’hui d’imaginer comment une telle histoire a pu se produire dans ce parc, depuis devenu Planète Sauvage. Il faut dire que « les gens qui auraient pu défendre le projet n’ont pas souhaité nous répondre », indique Yoann de Montgrand, à qui il a fallu deux ans pour réaliser le film. « On était dans une époque totalement différente, où l’on pensait que le racisme était révolu et la décolonisation derrière nous, poursuit-il. Même s’il y a eu quelques articles sur le sujet, ça n’a pas pris, on n’a pas compris… Peut-être en raison d’un certain aveuglement dans lequel on était. »

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